Anne-Elisabeth de Gottrau, abbesse (1607-1657)

de l'Abbaye N.D. de la MAIGRAUGE,  Fribourg (Suisse)

L'an 1623, une jeune fille de 16 ans entre à l'abbaye cistercienne de la Maigrauge: Anne-Elisabeth Gottrau. Le monastère est pauvre. Depuis une vingtaine d'années il a adopté la stricte clôture et s'apprête à revenir à la pratique primitive de la Règle en embrassant jeûnes et abstinence.

"Dès mon bas âge, j'ai toujours eu des instincts fort grands de me faire religieuse pour me donner toute à Dieu et cela sans aucun goût sensible, ains avec une très grande répugnance, à cause que mon esprit réveillé prenait grand goût aux choses du monde... je suis entrée en religion avec cette même répugnance... et cette sécheresse m'a duré environ trois ans."

Mais à la fin de son noviciat elle est changée d'un seul coup, après une confession générale "dans une telle aridité et avec mal de tête que je pensais être en purgatoire". Pourtant sortie du confessional, "je ne me connaissais point moi-même, parce que tout ce qui m'agréait auparavant m'était fâcheux et tout ce que au temps passé j'avais en répugnance, m'était maintenant des délices."

"J'avais une telle facilité à tout ce qui était de mortification, renoncement à soi- même... je n'avais fait aucun effort, ains tout d'un coup j'avais rencontré cette victoire». Pendant la communion qui suit « il me semble que je vis et entendis notre Seigneur, mais ce n'était pas des yeux du corps ni en aucune image, mais si spirituellement que je ne sais comment vous le dire, c'est donc qu'il me donna un autre coeur qui d'un côté était marqué de tous les mystères de la passion et de l'autre du nom de Jésus et au milieu une étincelle de son amour."  

Des grâces extraordinaires fondent sur elle, et elle s'y livre corps et âme. Elle déborde de consolations sensibles et fait tout son possible pour ne pas le faire voir. Ne se sauve-t-elle pas au jardin pour laisser éclater sa joie et rire tout haute. Mais il lui arrive quelques fois d'être ravie en extase au milieu du noviciat et c'est peut-être bien dès cet instant que prend naissance soit la vénération des unes soit l'inimitié de quelques autres de ses soeurs. "La deuxième communion se fit avec une entière union de nos deux volontés et Dieu m'attira entièrement dans soi..."    "...ce fût si eff'icace pour moi que depuis j'ai senti actuellement que je n'avais plus de volonté... avec un tel eff'et et eff'icace que je ne peux avoir aucun désir... jamais je n'ai été triste, ains tous les événements me sont semblables"  (écrit-elle 15 ans plus tard).

Tous ses moments libres, elle les passe en oraison, jusqu'à 3h les jours de communion. Mais sa santé s'en ressent. "J'ai beaucoup souffert d'incommodités, et particulièrement une grande débilité et faiblesse et d'autres infirmités, qu'à peine pouvais-je marcher."  Plus tard elle va à Dieu "pas avec tant d'ardeur et d'impétuosité, ains avec une grande douceur qui est cause que je me porte mieux de corps."  Mais à peine plus loin elle avoue, "il y a déjà assez longtemps que je n'ai plus ces sentiments si véhéments ains plus spirituels et parfois je me trouve en tel état, que l'esprit seul jouit de Dieu, que mon corps, à savoir la partie inférieure, ne le peut qu'à grande peine supporter."

"En quelque façon que j'occupe mon esprit en l'oraison, tant en pensant à la passion qu'à d'autres mystères, toujours je me trouve en la présence des trois personnes divines, avec trois dons que je demande universellement: l'augmentation de la gloire accidentelle pour tous les bienheureux, soulagement pour toutes les âmes du purgatoire, et assistance pour tous les pauvres humains." -   "Jésus me donna la clef' des trésors de tous ses mérites tant pour moi que pour mes prochains."

Souvent les larmes coulent, mais elle y résiste, si cela se passe devant toute la communauté.

"En l'oraison, sans aucune imagination, ni par le moyen des yeux extérieurs, ains avec l'intellect, Dieu m'a épousée..."

"Ma fin en toutes choses c'est la plus grande gloire de Dieu, l'accomplissement de sa sainte volonté et son entier contentement. Il n'y a pas longtemps que Dieu veut que tous les jours je prenne toutes les oeuvres qu'ont fait et font toutes les créatures, tant bonnes que mauvaises, à ce qu'avec un acte d'amour je refasse bonnes les mauvaises et les unissant toutes aux mérites du fils de Dieu."

"De tout le temps qu'elle a vécu en religion,  jamais elle n'a été sans maladie, hormis les trois premières années, ayant des faiblesses continuelles, allant souvent à Matines sans avoir reposé 1 heure et quelques fois rien du tout. Je l'ai vu moi-même (écrit Sr Gertrude) que les bonnes fêtes et les veilles de communion, elle ne pouvait reposer la nuit ou si peu,"  à cause de l'ardeur qui l'anime.

En 1630, elle est nommée sous-prieure, puis en 1633 maîtresse des novices, encore qu'elle "était dans des faiblesses si grandes qu'à peine elle pouvait cheminer les degrés (escaliers), mais elle était douce, d'un grand courage et ferveurâ" .  "Dans ces deux offices elle eut beaucoup à souffrir de toutes sortes de personnes... jamais elle ne se plaignait de ses ennemies, leur faisant toutes sortes de services et leur montrant de l'affection plus qu'aux autres soeurs."  

Dix ans plus tard elle devient prieure, lourde charge, car l'abbesse est âgée et infirme et guère en mesure de suivre sa grande communauté. Doucement, fortement, Mère Anne-Elisabeth attire les âmes à Dieu, les détachant des choses de la terre. Sa ferveur n'a rien d'agressif, elle est toute douceur, patience, humilité. Toujours gaie et aimable, la Prieure a autant de prévenances pour les plus petites de la maison que pour les plus grandes, en tout et partout elle met la paix.

En 1654, elle est élue abbesse. Elle tient à présider elle-même aux offices, au travail, à la récréation. Elle ne peut plus consacrer tant d'heures à l'oraison. Sa santé se dégrade tout à fait. 

En 1656, ses extrémités enflées sont incisées par les chirurgiens qui y appliquent du mercure. Intoxication, brûlures de tout le corps s'ensuivent. Les plaies ne se ferment plus. Et pourtant elle peut encore revenir au choeur, mais pour peu de temps. 

En 1657, elle découvre enfin à son infirmière la cause de douleurs encore plus grandes: le sein gauche enflé d'une grosse tumeur. C'est elle qui encourage le chirurgien à l'opération: "Ne craignez rien, coupez, si vous voulez, cette mamelle, je suis toute accoutumée de souffrir, ça n'est rien."  "II n'en est sorti que du sang et de l'eau."  A ces filles qui voudraient empêcher l'opération, elle répond: "Mes filles, ne savez-vous pas que Jésus était déjà mort quand on lui ouvrit le côté et son humanité n'a pas senti la douleur de cette plaie, mais il l'a laissée à ses élus. Car il y a des âmes qui sont destinées pour honorer la passion de Jésus... pour moi je me réjouis de recevoir ce coup de couteau... car S. Paul dit, qu'il nous faut parachever la passion de Jésus... ."  "Notre Seigneur me veut dans une telle pauvreté, que je n'ai plus de communions à offrir, ni prières à faire que dans cette Eglise et pour cette Eglise universelle..." 

C'est de cette plaie cancéreuse qui ne fait que grandir et s'approfondir, qu'elle meurt le 26 novembre 1657 entourée de sa communauté, du Père Abbé d'Hauterive Clément Dumont et des chapelains Edmond Werro et Candide Fivaz. 

Après sa mort, voici un extrait d'une lettre qu'on a trouvée: "Je suis toute étonnée et ne sais ce que Dieu demande de moi, à cause des grandes connaissances que Dieu me donne de sa divinité et des grandeurs de l'homme-Dieu, comme aussi de sa sainte mère. Et cette science n'est pas comme celle que l''on apprend en étudiant ou en lisant, mais d'une façon que créatures, soit anges soit hommes, ne peut enseigner encore moins l'expliquer pendant que nous sommes en cette vie, sinon quand il plaît à Dieu de le faire expérimenter pour soi-même, mais de le savoir dire, point du tout." 

Et pourtant, elle a composé des traités sur le mystère de l'Incarnation, la Ste Trinité, le St Nom de Jésus. Seul ce dernier nous est parvenu. Mais il nous reste quantités de méditations, d'oraisons et de dévotions exprimant sa grande vénération pour les trois personnes divines, le St. Sacrement, les Anges et les Saints qui reflètent bien les grandes lumières qu'elle a contemplées.

Sr Marie-Bernard Winklhofer, d'après les manuscrits de Sr Gertrude de Reynold, sa contemporaine.